L’Assassinat du Père Noël : le film, le roman et la BD


L’Assassinat du Père Noël (Christian Jaque, 1941), est le premier film réalisé sous l'Occupation pour la firme allemande Continental par un cinéaste français. Il ne s'agit pas d'une œuvre de propagande mais d'une histoire policière, très librement adaptée du roman éponyme de Pierre Véry (1900-1960) publié aux éditions Gallimard en 1934, baignée de toute part par la poésie de Noël, un huis-clos dans un tout petit village savoyard, isolé et enfoui sous la neige hivernale. Nous sommes le soir du 24 décembre, le père Cornusse, fabricant de mappemondes, s'apprête à revêtir comme chaque année son costume de Père Noël. Sa fille Catherine rêve du prince charmant tout en cousant des robes pour ses poupées tandis que le bien troublant baron Roland revient d'un voyage autour du monde... mais un drame est en train de se jouer. Durant la messe de la Noël, le rubis du doigt de Saint Nicolas, unique relique restant du bras d'or du Saint disparu depuis la Révolution, est dérobé et le Père Noël est retrouvé mort assassiné... Derrière cette histoire sordide de prime abord, et un sujet de départ ma fois plutôt courageux et déstabilisant, se cache en fait un film purement merveilleux, d'une sensibilité folle et empreint de mystère féérique.


Le roman, qui se déroule quant à lui dans la petite bourgade de Mortefont en Meurthe-et-Moselle, fait partie de la série Prosper Lepicq, du nom de l’alter ego de l’auteur, avocat-détective (série dont est également issu Les Disparus de Saint-Agil qui sera lui aussi adapté au cinéma par Christian Jaque en 1935).

« J’ai souhaité un jour que mes livres fussent considérés comme des contes de fées pour grandes personnes… » (Pierre Véry)
Le film L’Assassinat du Père Noël, infiniment sensible nous plonge dans un univers féérique, d’un lyrisme à fleur de peau, à la fois surréaliste, décalée et toujours emprunte d’humour, parfois sombre et inquiétant. Le ton est véritablement unique, à la frontière du cinéma fantastique, à l’étrangeté fascinante.


Le roman est très différent, tellement différent que j’ai été totalement déstabilisée, c’est clairement autre chose et le film n’a en fait pas beaucoup à voir avec le roman ! Je ne peux évidemment pas dire que je n’ai pas aimé le roman, je l’ai lu jusqu’au bout sans déplaisir, même si j’ai parfois manqué un peu de motivation car je n’ai pas du tout retrouvé l’ambiance du film et cela a clairement ralenti ma lecture. Le film est autant contemplatif que le roman est bavard, parfois trop, au détriment de la rêverie. L’auteur Pierre Véry revendique son inspiration dans les contes de fées et cela se sent dans ses écrits, peuplé de hauts personnages fantasques. Si l’idée semble de prime abord fort originale et excitante, le lecteur manque parfois un peu d’espace pour laisser libre court à son imagination. Le film est disons-le, nettement plus féérique. En outre, dans le roman je n’ai pas retrouvé les paysages enchanteurs des sommets de Savoie puisque l’histoire se déroule en Meurthe-et-Moselle. Et si dans le film certains personnages sont hautement mystérieux ou poussent clairement à la rêverie (personnage du baron Roland de la Faille dont dans le film on ne sait pas grand-chose et dont on imagine le pire comme le meilleur), dans le roman, les personnages sont traités de manière nettement plus pragmatique et sont finalement plus extravagants que vraiment féériques. Dans le film, le Père Cornusse, débordant d’imagination (exceptionnel Harry Baur), est fabricant de mappemondes et, d’une certaine façon, "ouvre le monde" aux enfants. Dans le roman, il est photographe spécialisé en clichés romantiques. Je pourrais citer ainsi de nombreux autres exemples démontrant que le film est vu à hauteur d’enfant tandis que le roman est une histoire policière où les enfants sont en arrière-plan voire absents (même si le roman est tout public). Cette différence de point de vue m’a gênée et même si je trouve au roman de nombreuses qualités, cela ne m’a pas suffi à être transportée comme je le suis à chaque fois que je revois le film.


« Il importe de sauver dans l’homme, à mon sens, c’est ce qui reste de l’enfant. Je demande à mes lecteurs d’ouvrir L’Assassinat du Père Noël avec une âme d’enfant ; ils seront accueillis avec amitié par des personnages qu’ils ont beaucoup connus autrefois mais qu’ils ont peut-être un peu oubliés. » (Pierre Véry)
Reste que le personnage de Prosper Lepicq est fascinant de bout en bout et, à la manière d'un Hercule Poirot dont l’intelligence et les modes de pensées se situent clairement au-dessus de ceux du commun des mortels (et donc des villageois et du lecteur), le jeune enquêteur joue un peu avec nos nerfs, sachant tout avant tout le monde et nous faisant languir jusqu’au dénouement… même si l’on sait, qu’évidemment, il parviendra à résoudre l’affaire. En cela, le roman est passionnant.

Il y a quelques semaines un gentil lutin m’a offert L’Assassinat du Père Noël… en bande-dessinée !
A la base je ne vais pas naturellement vers la BD, même si j’en lis de temps à autres (mais assez peu). Il faut que le sujet me passionne. Ce lutin, qui me connaît bien, savait évidemment que L’Assassinat du Père Noël m’intéresserait.


On doit cette BD, publiée en 2010, aux auteurs Didier Convard, Éric Adam et Paul. Tous trois nous livrent cette libre adaptation et nous invitent à suivre l’enquête de Prosper Lepicq en images. L’esprit de Pierre Véry est conservé dans sa drôlerie et son ton distrayant un brin parodique. Les codes et les conventions sont préservées, ainsi que l’environnement fantasque. Lepicq s’imprègne de l’ambiance hivernale du petit village reculé de Meurthe-et-Moselle mais la mise en scène m’a semblé un peu trop statique. Ce moindre mal est toutefois contrebalancé par le choix des couleurs des décors relativement ternes (gris-bleu) mettant ainsi magnifiquement en avant les personnages haut en couleurs, au sens propre comme au figuré. Par conséquent, malgré des scènes théâtrales pausées, le résultat reste assez déluré. La morale un tantinet diabolique de cette folle histoire saurait plaire en outre à n’en point douter à l’humour noir d’Alfred Hitchcock qui aurait pu nous en faire un croustillant court-métrage où une certaine forme de justice populaire prévaudrait sur les prérogatives de l’administration et de la "bonne morale".

Je ne suis donc bien amusée en lisant cette version de L’Assassinat du Père Noël, extrêmement différente du film de Christian Jaque et relativement fidèle au roman de Pierre Véry.

Le roman, le film et la bande-dessinée sont très complémentaires. Le roman et la BD sont moins doux et plus pinçant que le film qui lui se veut plus féérique. Dans tous les cas, quel que soit le média, à l’instar de tous les contes merveilleux, L’Assassinat du Père Noël se rappelle que, pour exister, il se doit d’abriter en son sein un personnage diabolique…

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